Face à la situation à laquelle font face les travailleurs indépendants sur les plateformes numériques, l’Union européenne prend des mesures pour les protéger. Considérant que 5,5 millions de travailleurs indépendants sur ces plateformes sont mal catégorisés, Bruxelles instaure une présomption légale de salariat.

5,5 millions de travailleurs des plateformes numériques mal catégorisés

D’après les estimations de la Commission européenne, près de 28 millions de personnes au sein de l’Union européenne exercent leur activité professionnelle par le biais d’une ou plusieurs plateformes numériques. Parmi elles, une majorité, notamment les livreurs indépendants, effectuent des horaires de travail comparables à ceux des salariés traditionnels.

Malgré cela, ces entreprises leur attribuent automatiquement le statut de freelances. Il en résulte des conditions précaires marquées par plusieurs inconvénients majeurs :

  • une rémunération faible à la course ou à la tâche, qui se traduit par des revenus souvent inférieurs au salaire minimum légal ;
  • l’obligation de payer eux-mêmes les cotisations sociales, qui représentent une charge financière importante ;
  • la gestion administrative de leur activité (facturation, déclaration fiscale et sociale…), qui peut s’avérer complexe et chronophage.

En 2021 déjà, Bruxelles avait pointé du doigt une catégorisation « abusive » de 5,5 millions de travailleurs des plateformes numériques comme indépendants. Or, cette erreur de classification les prive de protections essentielles telles que le salaire minimum, la limitation du temps de travail et les pensions de retraite. Un changement des règles leur permettrait d’être assimilés à des salariés réguliers et d’accéder à ces droits fondamentaux.

Adoption d’une directive instaurant la présomption légale de relation de travail

Une étape majeure a été franchie en mars 2024 avec l’adoption d’une directive européenne, fruit d’un consensus entre le Parlement européen et les États membres.

Cet accord instaure une présomption légale de relation de travail dès lors que des éléments concrets démontrent un contrôle et une direction par l’entreprise. Le cadre réglementaire concernant l’utilisation des algorithmes en milieu est également durci, notamment avec l’interdiction de licencier un employé sur la base d’une décision automatisée.

Les difficultés rencontrées sur ces plateformes datent depuis de nombreuses années. Cependant,

Leur prise en charge au niveau législatif a nécessité du temps et de longues démarches,

Comme le fait remarquer Ludovic Voet, secrétaire confédéral de la Confédération européenne des syndicats (CES). Désormais, en cas de contrôle du statut d’un travailleur, c’est à la plateforme que reviendra l’obligation de présenter des preuves justifiant un contrat d’indépendant, et non l’inverse.

Deux ans pour transposer la directive dans le droit national des États membres

Un délai de deux ans est accordé aux États membres de l’Union européenne pour intégrer le contenu de la directive dans leur droit national. Néanmoins, le syndicaliste déplore

L’affaiblissement notable des mesures d’application dans les versions ultérieures du texte.

Il redoute qu’un pays réticent aux dispositions prises puisse

Adopter une attitude passive et laisser la charge aux travailleurs d’intenter des actions en justice contre les plateformes.

Or, il s’agit d’une démarche fastidieuse et onéreuse pour les indépendants, dans laquelle peu ont le courage de s’engager. Néanmoins, les syndicats ont désormais la possibilité de rappeler les États à leurs obligations et de mieux défendre les travailleurs dans les procédures juridiques, ce qui constitue donc une avancée.

La plateforme Uber Eats accueille favorablement cette directive et exhorte les pays de l’UE à adopter des lois nationales qui accordent aux professionnels indépendants les protections qu’ils méritent, tout en garantissant l’autonomie qu’ils recherchent.

Néanmoins, pas plus tard qu’au début du mois de mai 2024, la société américaine a contesté une décision de la Commission des relations de travail (CRT) belge qui a requalifié trois de ses livreurs en salariés.

Le portage salarial, un régime sécurisé pour les indépendants

La précarité de la situation des freelances explique l’essor du portage salarial, en particulier depuis la pandémie de Covid-19. En effet, ce statut préserve leur autonomie puisqu’ils :

  • choisissent leurs missions en fonction de leur expertise et de leurs aspirations,
  • négocient directement les modalités d’exécution avec les clients,
  • définissent librement leurs tarifs.

En même temps, ils ont droit à une couverture sociale complète, comme les salariés classiques. Autre atout de taille, la société de portage salarial prend en charge l’intégralité de la gestion administrative de l’activité des consultants.