Le Premier ministre Michel Barnier propose un renforcement significatif de la Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), un impôt méconnu mais en place depuis 2012. Face à la nécessité de redresser les finances publiques, cette mesure suscite des questions sur son impact et ses implications. Analyse.

Une taxe qui perdure au même taux depuis 2012 malgré l’inflation

Depuis son instauration en 2012 par François Fillon et Nicolas Sarkozy, la Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) a généré des recettes substantielles pour l’État. Cette taxe, initialement temporaire et conçue pour rétablir l’équilibre budgétaire après la crise de la zone euro, est aujourd’hui sur le point d’être doublée dans un effort de solidarité supplémentaire.

La CEHR, créée dans un contexte de crise économique, visait à imposer les foyers fiscaux ayant un revenu fiscal de référence (RFR) supérieur à 250 000 euros pour une personne seule, et 500 000 euros pour un couple. La surtaxe initiale s’élevait à 3 % pour les contribuables dépassant ce seuil, et à 4 % pour ceux ayant un RFR supérieur à 500 000 euros (un million pour un couple). Bien qu’elle devait être temporaire, la CEHR est restée en vigueur en raison de l’objectif initial d’un déficit budgétaire à zéro non atteint.

En dépit d’une inflation cumulative de plus de 20 % depuis 2012, les seuils et taux de cette taxe n’ont jamais été ajustés. Le nombre de ménages soumis à la CEHR a donc considérablement augmenté au fil des ans. Si environ 27 000 ménages étaient concernés lors de sa création, ce chiffre a bondi à 65 000 en 2024. Ce phénomène s’accompagne d’un accroissement notable des recettes générées par la taxe, qui sont passées de 420 millions d’euros en 2012 à plus de 1,5 milliard d’euros en 2022. Aujourd’hui, Michel Barnier prévoit de doubler ce montant, atteignant potentiellement 2 milliards d’euros par an.

 

L’extension de la taxe : vers une contribution accrue des plus riches

Face à la nécessité de trouver des solutions pour combler un déficit public important, Michel Barnier propose une augmentation significative de la CEHR. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’une augmentation directe des taux d’imposition. Le gouvernement cherche à introduire des mécanismes nouveaux pour limiter les stratégies d’optimisation fiscale utilisées par les ménages les plus fortunés.

 

Un mécanisme anti-optimisation

Le cœur de la nouvelle proposition repose sur l’introduction d’un taux d’imposition plancher, visant à empêcher les plus riches d’utiliser des moyens sophistiqués pour réduire leur charge fiscale. En effet, de nombreux contribuables aux revenus élevés perçoivent une part importante de leurs revenus sous forme de revenus du capital (dividendes, plus-values), qui sont soumis à un taux d’imposition avantageux grâce à la flat tax introduite en 2018 (30 %). Ce taux combine 12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux, ce qui crée une différence significative par rapport à l’imposition des revenus du travail.

Avec cette nouvelle mesure, l’objectif du gouvernement est d’imposer un taux minimum global, quel que soit le type de revenu perçu, afin d’éviter que certains foyers fiscaux ne se retrouvent avec un taux effectif d’imposition très bas grâce à ces stratégies d’optimisation.

 

Les impacts possibles sur les contribuables

Cette réforme viserait donc les mêmes ménages déjà soumis à la CEHR, mais avec des modalités plus strictes. Le recours à un taux plancher vise à limiter les avantages fiscaux accordés aux revenus du capital, qui profitent historiquement davantage aux plus fortunés. Le dispositif pourrait toucher des dirigeants d’entreprises et des investisseurs, qui utilisent souvent des holdings pour moduler leurs revenus et retarder l’imposition.

Comme l’explique l’avocat fiscaliste Gwendal Chatain, certains contribuables organisent leur rémunération de manière à ne percevoir que le strict nécessaire pour vivre, tandis que le reste des revenus est réinvesti ou conservé dans une société holding. Cette stratégie permet de limiter la part des revenus soumis à l’impôt sur le revenu. Ce nouveau mécanisme anti-optimisation pourrait ainsi combler cette lacune et augmenter les recettes fiscales générées par les plus riches.

 

Les enjeux politiques et économiques de la réforme

Le débat sur la justice fiscale est au cœur de cette réforme. Michel Barnier présente cette mesure comme un effort de solidarité nationale destiné à renforcer l’équité dans la répartition de la charge fiscale. Dans un contexte où le gouvernement doit réduire son déficit de 60 milliards d’euros en 2025, la participation des ménages les plus aisés est perçue comme une nécessité pour maintenir les comptes publics.

Cependant, la question de l’équilibre entre taxation et incitation à l’investissement reste délicate. Une hausse trop importante des taux d’imposition pourrait décourager les investisseurs et susciter des critiques sur l’éventuelle « confiscation » des revenus. Le Conseil constitutionnel pourrait également intervenir si les nouveaux seuils d’imposition sont jugés excessifs.

La réforme, bien que ciblée sur une frange relativement faible de la population, pourrait avoir des répercussions économiques plus larges. Les contribuables concernés, qui comptent parmi les principaux investisseurs, pourraient revoir leurs stratégies patrimoniales ou leurs décisions d’investissement en réaction à cette nouvelle taxe. Certains pourraient même choisir de relocaliser leurs actifs à l’étranger, exacerbant les effets de l’optimisation fiscale internationale.

Le gouvernement devra donc veiller à équilibrer les objectifs de justice fiscale et de compétitivité économique, tout en s’assurant que la réforme atteigne son but : générer des recettes supplémentaires sans nuire à l’attractivité du pays pour les investisseurs et entrepreneurs.

En augmentant la CEHR et en introduisant un mécanisme anti-optimisation, Michel Barnier cherche à relever un défi budgétaire important tout en renforçant la justice fiscale. Cette réforme, bien que nécessaire pour rétablir les finances publiques, soulève néanmoins des questions quant à son impact sur l’économie et les comportements des contribuables les plus aisés. À suivre lors des prochains débats parlementaires, cette mesure pourrait bien redéfinir le paysage fiscal français dans les années à venir.