La France traverse actuellement un paradoxe préoccupant : alors que le taux de chômage connaît une hausse, de nombreuses entreprises peinent toujours à pourvoir certains postes. Selon une étude menée par WTW France en janvier, 37 % des entreprises françaises faisaient face à des difficultés de recrutement à la fin de l’année dernière. Ce phénomène, qui touche aussi bien les secteurs traditionnels que les métiers émergents, s’explique par plusieurs facteurs structurels et conjoncturels.

 

Un déséquilibre persistant entre l’offre et la demande

Les métiers en tension

Les secteurs du BTP, de l’hôtellerie-restauration et des technologies émergentes comme l’intelligence artificielle (IA) sont particulièrement touchés. Les professionnels de l’IA, les data analysts, ainsi que les commerciaux sont aujourd’hui parmi les profils les plus convoités. La forte demande dans ces domaines s’explique par la digitalisation croissante des entreprises et la nécessité d’exploiter des volumes massifs de données pour rester compétitives. Cependant, l’offre de candidats qualifiés reste insuffisante.

Sophie Lazaro, directrice Capital Humain chez Deloitte, souligne ce déséquilibre : « Il n’y a pas assez de personnel qualifié sur ces métiers pour lesquels il y a une forte demande des entreprises ».

Cette pénurie contraint certaines entreprises à revoir leurs stratégies d’embauche, notamment en augmentant les salaires pour attirer les talents. « Les entreprises qui en ont les moyens vont sortir le chéquier », confirme Morgan Philippe, directeur des opérations du groupe Alixio.

 

Les difficultés dans les métiers manuels et techniques

Au-delà des métiers technologiques, les postes manuels et techniques sont également en souffrance. Serveurs, cuisiniers, ouvriers dans le BTP, techniciens de maintenance, soudeurs dans l’énergie : tous ces métiers souffrent d’un manque d’attractivité croissant. Avant la pandémie de COVID-19, ces difficultés de recrutement concernaient principalement les postes de cadres. Désormais, même les emplois dits cols bleus sont touchés.

Cette situation s’explique en partie par des conditions de travail jugées trop contraignantes. Caroline Philippe-Janon, directrice candidate intérimaire chez Adecco, précise : « Il faut accepter de travailler dehors, parfois dans le froid, sur un rythme qui n’est pas le même que la majorité des actifs ». Les exigences des candidats ont évolué, et beaucoup préfèrent des emplois offrant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des DRH (ANDRH), note : « La dimension contraignante est moins acceptée qu’avant, à salaire égal les candidats préfèrent aller dans une boîte où ils ne travailleront pas le samedi ».

 

Une inadéquation entre formation et besoins du marché

L’un des problèmes majeurs du marché de l’emploi en France réside dans l’inadéquation entre les compétences des demandeurs d’emploi et les besoins des entreprises. Cette situation est exacerbée par des systèmes de formation qui ne s’adaptent pas assez rapidement aux évolutions technologiques et aux nouvelles exigences du marché.

Laurent Termignon, expert chez WTW, est catégorique : « Il y a une inadéquation entre les besoins des entreprises et les formations des demandeurs d’emploi ».

Les formations traditionnelles peinent à répondre à la demande croissante dans les secteurs de pointe comme l’intelligence artificielle, le développement informatique ou encore la cybersécurité. De plus, certains métiers techniques, pourtant essentiels, sont souvent négligés par les jeunes générations, qui privilégient des carrières perçues comme plus valorisantes ou moins exigeantes physiquement.

 

La question de la localisation géographique

Outre les aspects liés aux compétences et aux conditions de travail, la localisation géographique des entreprises joue un rôle clé dans les difficultés de recrutement. Certaines régions connaissent des pénuries de main-d’œuvre, non pas par manque de compétences, mais en raison d’un bassin d’emploi insuffisant pour répondre à la demande locale.

Cette situation oblige les entreprises à recruter en dehors de leur zone géographique habituelle, ce qui entraîne des coûts supplémentaires et complique encore le processus de recrutement.

 

Les seniors : un vivier de talents sous-exploité

Face à ces défis, l’élargissement des critères de recrutement apparaît comme une solution potentielle. Les profils seniors, par exemple, représentent un vivier de compétences souvent négligé. Selon la Dares, en 2023, seulement 58,4 % des français âgés de 55 à 64 ans avaient un emploi, contre 63,9 % en moyenne dans l’Union Européenne. Cette sous-représentation s’explique en partie par des préjugés persistants à l’égard des travailleurs plus âgés.

Pourtant, ces derniers possèdent des compétences transférables précieuses.

Morgan Philippe du groupe Alixio plaide pour une meilleure intégration des seniors : « À 50 ans, vous êtes déjà considéré comme un rebut, ça occasionne une vraie perte de compétences dans les entreprises qu’on n’a pas su remplacer ».

Adapter les formations continues pour ces profils pourrait non seulement pallier les pénuries de talents, mais aussi valoriser l’expérience au sein des entreprises.

 

Vers une nécessaire adaptation des entreprises

Pour surmonter ces défis, les entreprises doivent repenser leurs stratégies de recrutement. Cela passe par :

  • L’amélioration des conditions de travail : offrir plus de flexibilité, des horaires adaptés et de meilleures conditions physiques peut rendre certains métiers plus attractifs.
  • La diversification des profils recrutés : ouvrir les recrutements à des profils atypiques, seniors ou en reconversion, permet de combler des postes qui restent vacants.
  • L’investissement dans la formation : les entreprises peuvent développer des programmes de formation interne pour combler le fossé entre les compétences disponibles et celles requises.
  • L’adaptation aux réalités géographiques : encourager la mobilité ou le télétravail dans certaines fonctions peut aider à surmonter les contraintes géographiques.

Entre évolution des attentes des candidats, inadéquation des formations et sous-exploitation de certains viviers de talents, les entreprises sont contraintes de s’adapter rapidement pour rester compétitives. Le marché de l’emploi de demain sera celui qui saura concilier attractivité, flexibilité et innovation.