À l’heure où l’intelligence artificielle (IA) redéfinit les normes professionnelles, la question de la performance des salariés devient plus complexe que jamais. Autrefois mesurée en fonction du nombre d’heures travaillées ou des résultats purement quantitatifs, la performance s’évalue désormais à l’aune de l’impact créé. Mais comment identifier un salarié performant dans un monde où l’IA s’approprie de plus en plus de tâches, y compris celles autrefois réservées aux experts ?

 

Une performance redéfinie par l’impact

Traditionnellement, la performance d’un salarié était associée à des indicateurs précis : chiffre d’affaires généré, productivité mesurée, ou respect des délais. Aujourd’hui, cette approche montre ses limites. Un commercial peut afficher d’excellents résultats en ventes tout en détériorant la relation client par des méthodes agressives. À l’inverse, un employé peut ne pas se distinguer par des résultats chiffrés impressionnants mais apporter une valeur inestimable par son influence sur l’équipe, son leadership informel ou son rôle dans la diffusion de la culture d’entreprise.

Comme l’explique Chloé Beauvallet, directrice générale d’Outsourcia, certains collaborateurs passent « sous le radar » des évaluations classiques, alors qu’ils contribuent significativement au bien-être et à la cohésion de l’entreprise. La performance ne se résume donc plus seulement aux résultats tangibles, mais englobe également des aspects plus subtils, tels que la capacité à inspirer et à fédérer une équipe.

 

Les nouvelles attentes envers un salarié performant

Jean-Charles Samuelian, PDG de la licorne Alan, définit le salarié performant comme celui qui cherche continuellement à s’améliorer, qui remet en question les pratiques établies, accepte l’échec et sait travailler en équipe. Selon lui, la clé réside dans la capacité d’un employé à dépasser son rôle et à se soucier de son impact sur les autres.

Dans le même esprit, Maud Bailly, directrice des marques MGallery, Sofitel et Emblems du groupe Accor, met en avant la culture d’entreprise comme critère central de la performance. Pour elle, un salarié performant est avant tout un ambassadeur de son entreprise, contribuant à son rayonnement de manière authentique et durable. Cette vision relie directement la performance individuelle à la performance financière de l’entreprise.

La performance individuelle face à l’intelligence artificielle

L’une des grandes mutations actuelles est l’évaluation de la performance humaine en comparaison avec celle de l’IA. Mark Zuckerberg, PDG de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), a récemment décidé de licencier 5 % de ses salariés jugés « les moins performants ». Mais sur quels critères ? Comme le souligne François Véron, PDG du fonds Newfund, ces employés ne sont pas forcément incompétents, mais simplement moins adaptés aux exigences actuelles, où l’IA prend le relais sur certaines tâches.

L’IA transforme la perception de la productivité : les entreprises ne se contentent plus d’évaluer un salarié par rapport à ses pairs, mais aussi en fonction de ce qu’une machine pourrait accomplir à sa place.

 

Vers un management plus humain et collectif

Face à cette révolution, faut-il abandonner les évaluations traditionnelles ? De nombreuses entreprises américaines comme Adobe, Microsoft, Deloitte ou General Electric revoient leurs systèmes d’évaluation, considérant que la simple mesure quantitative ne suffit plus. L’approche darwinienne de la performance, qui consistait à éliminer systématiquement les « moins performants », atteint ses limites.

Florence Tondu-Mélique, vice-présidente senior chez Visa, rappelle que la performance d’une entreprise repose sur l’intelligence collective. Elle souligne l’importance de définir des objectifs clairs et partagés, en tenant compte à la fois du « quoi » (les résultats) et du « comment » (la manière dont ces résultats sont obtenus, en collaboration avec les autres).

 

Quel avenir pour les compétences humaines ?

Une question demeure : comment former les nouvelles générations à leur métier si l’IA exécute déjà les tâches de base et même au-delà ? La montée en puissance de l’automatisation rend certaines compétences obsolètes, forçant les travailleurs à se repositionner.

Plutôt que de chercher à rivaliser avec l’IA sur l’exécution des tâches, les employés devront se concentrer sur des compétences plus difficilement automatisables :

  • Créativité et innovation : Imaginer des solutions nouvelles, développer une pensée critique.
  • Collaboration et intelligence émotionnelle : Travailler en équipe, comprendre et gérer les dynamiques humaines.
  • Agilité et apprentissage continu : S’adapter rapidement aux changements, développer de nouvelles expertises.

L’avenir du travail repose donc moins sur la compétition avec l’IA que sur une complémentarité entre intelligence humaine et intelligence artificielle.

La notion de salarié performant évolue profondément sous l’influence de l’IA. La performance ne se limite plus aux chiffres, mais s’apprécie aussi à l’impact humain, culturel et stratégique d’un employé sur son environnement de travail. Si l’intelligence artificielle redéfinit certaines compétences et automatise des tâches, elle met également en lumière des qualités spécifiquement humaines – créativité, collaboration, adaptabilité – qui deviennent désormais essentielles.

Les entreprises devront donc repenser leurs critères d’évaluation et leur approche managériale pour tirer pleinement parti du potentiel humain à l’ère du numérique. Loin d’être un frein, cette transformation peut être une opportunité de valoriser l’excellence sous une nouvelle forme, fondée sur l’intelligence collective et l’innovation.