Après le quiet quitting – la démission silencieuse des salariés désengagés –, un autre phénomène fait surface : le quiet cutting, ou licenciement silencieux. Ce concept désigne une stratégie insidieuse employée par certaines entreprises pour pousser un salarié à quitter son poste sans recourir au licenciement ou à une rupture conventionnelle. En France, cette pratique est plus connue sous le nom de « placardisation », une manœuvre qui, bien que courante, est illégale.

 

Qu’est-ce que la placardisation en entreprise ?

La placardisation, ou mise au placard, désigne l’exclusion progressive d’un salarié de la vie active de l’entreprise. Elle se manifeste par différentes stratégies visant à le démotiver, l’isoler et le contraindre à la démission. Parmi ces méthodes, on retrouve :

  • La diminution des responsabilités : Le salarié se voit retiré ses missions habituelles et devient spectateur de l’activité.
  • L’exclusion des projets et des décisions : Il est mis à l’écart des réunions stratégiques et des échanges professionnels.
  • L’isolement social et professionnel : Son poste est déplacé dans un bureau éloigné ou il est exclu des communications (e-mails, discussions d’équipe).
  • Des critiques répétées et injustifiées : Son travail est constamment dévalorisé, créant un climat de stress et d’incertitude.

Bien qu’aucune loi ne définisse expressément la placardisation, elle est assimilée à une forme de harcèlement moral, interdit par l’article L.1152-1 du Code du travail. Un employeur qui se rend coupable de ces agissements s’expose à des sanctions financières et judiciaires importantes.

 

Les risques juridiques pour l’employeur

Si la placardisation est prouvée, les sanctions peuvent être lourdes. Plusieurs fondements juridiques permettent au salarié de faire valoir ses droits :

  • Harcèlement moral : L’employeur peut être condamné à verser des dommages et intérêts si le salarié démontre une dégradation intentionnelle de ses conditions de travail.
  • Inexécution du contrat de travail : Le salarié peut attaquer son employeur pour manquement à l’obligation de fournir du travail.
  • Modification unilatérale du contrat de travail : Une réduction des missions sans accord du salarié peut être assimilée à une modification abusive du contrat.
  • Licenciement déguisé : Si le salarié quitte son poste sous pression, la justice peut requalifier son départ en licenciement abusif, obligeant l’employeur à indemniser le préjudice subi.

De plus, les tribunaux français commencent à reconnaître le bore-out – syndrome d’ennui professionnel – comme un facteur de souffrance au travail (CA Paris, 2 juin 2020, n°18/05421). Cette évolution renforce la protection des salariés placardisés.

 

Détecter les signes avant-coureurs du quiet cutting

La placardisation est souvent progressive et difficile à identifier. Voici quelques signes révélateurs :

  • Absence de feedback ou d’évaluation constructive sur le travail fourni.
  • Suppression progressive des tâches sans explication.
  • Exclusion des échanges professionnels (e-mails, réunions, décisions).
  • Détérioration de l’ambiance de travail : mépris, ignorance, ou attitude passive-agressive de la hiérarchie.
  • Isolement géographique (bureau éloigné, télétravail imposé).

L’entretien annuel est souvent un moment clé pour identifier un changement d’attitude de l’employeur.

 

Comment se prémunir et réagir face à une mise au placard ?

Un salarié victime de quiet cutting doit agir rapidement pour préserver ses droits et sa santé.

 

Documenter la situation

Il est essentiel de collecter des preuves :

  • E-mails ignorés ou supprimés.
  • Modifications soudaines du poste et des responsabilités.
  • Témoignages de collègues.
  • Absence d’objectifs clairs ou d’évaluations professionnelles.

 

Dialoguer et alerter en interne

Il est recommandé de parler avec son manager ou les ressources humaines, en restant factuel et en exprimant ses inquiétudes.

En parallèle, prévenir le CSE (Comité Social et Économique) ou les délégués syndicaux permet de bénéficier d’un soutien et d’une médiation éventuelle.

 

Faire appel à un avocat ou à l’Inspection du Travail

Si la situation persiste, un avocat spécialisé en droit du travail peut aider à constituer un dossier pour défendre ses droits. Une mise en demeure formelle peut contraindre l’employeur à réagir.

L’Inspection du Travail est également un interlocuteur clé pour signaler des pratiques abusives.

 

Et après ? Rebondir professionnellement avec le portage salarial

Face à une situation de placardisation, de nombreux salariés envisagent une reconversion ou un nouveau départ professionnel. Mais quitter un emploi peut être un risque, notamment sur le plan financier. Une solution intermédiaire, de plus en plus prisée, est le portage salarial.

Le portage salarial permet de travailler en freelance tout en conservant les avantages du statut de salarié. Le salarié porté bénéficie de :

  • Un contrat de travail et donc une protection sociale (assurance chômage, retraite, mutuelle).
  • Une gestion administrative simplifiée, sans les contraintes d’un entrepreneur classique.
  • Un filet de sécurité financier, grâce à la perception d’un salaire même entre deux missions.

Cette alternative séduit particulièrement les cadres et experts en transition professionnelle. Pour un salarié victime de quiet cutting, le portage salarial peut être un moyen de rebondir tout en conservant un cadre sécurisé.

 

Pourquoi les entreprises recourent-elles au quiet cutting ?

Cette stratégie est avant tout motivée par des raisons économiques. Un employeur peut vouloir éviter les coûts d’un licenciement, notamment l’indemnité légale qui y est associée.

Depuis septembre 2023, la rupture conventionnelle est devenue moins attractive en raison d’une contribution patronale de 30 % sur l’indemnité de rupture. Plutôt que de négocier, certaines entreprises préfèrent pousser le salarié à bout pour qu’il parte de lui-même, sans indemnité.

Toutefois, cette approche est risquée : les contentieux liés à la placardisation peuvent coûter bien plus cher qu’un licenciement classique.

 

Une pratique plus répandue à l’étranger ?

Le quiet cutting est plus fréquent aux États-Unis et au Royaume-Uni, où le droit du travail est plus flexible.

  • Aux États-Unis : Le principe du « at-will employment » permet à un employeur de licencier un salarié sans justification ni préavis (hors discrimination ou illégalité).
  • Au Royaume-Uni : Bien que le licenciement doive être justifié, l’indemnité légale de départ n’est pas obligatoire (sauf en cas de licenciement économique).

Malgré cette apparente facilité, ces pays imposent des sanctions sévères en cas de licenciement abusif (« unfair dismissal » au Royaume-Uni, « wrongful termination » aux États-Unis).

En France, où la protection des salariés est plus forte, le quiet cutting est une pratique illégale qui peut coûter cher aux employeurs s’ils sont traduits en justice.

Le quiet cutting est une tentative déguisée de forcer un départ sans respecter les obligations légales. Face à cette situation, un salarié ne doit ni rester passif, ni se laisser isoler.

Réagir dès les premiers signes, documenter la situation et solliciter un accompagnement professionnel sont des étapes essentielles pour faire valoir ses droits.

Et si l’entreprise ne permet plus d’épanouissement professionnel, envisager des solutions alternatives comme le portage salarial peut être un excellent moyen de reprendre le contrôle de sa carrière en toute sécurité.